Talking piano – saxophone soprano, piano & narrator ad lib.

poems: Aimé Césaire
Talking piano (Dorsale bossale) 3′
Talking drum (Rabordaille) 3’10 
Mot-Macumba 3’20

Le titre en a été choisi en référence, en hommage au talking drum du conteur africain
Partir des paroles de sage d’Aimé Césaire comme on quitte un port pour l’aventure en haute mer autour du globe et avoir toujours sur soi ce bâton succulent que l’on mâche, ce trésor, cette source inépuisable, cet élixir de vie au milieu de la traversée des plus vastes déserts ;
Une musique qui n’a d’autre raison d’être que de tisser humblement l’écrin du joyau de sa poésie, une poésie « physique » dans laquelle on a la sensation de mordre à pleines dents ou mieux encore qui nous fait respirer à pleins poumons le monde et la force de sa nature, les cheveux battus par le vent ;
Un poème dit  non seulement par la langue mais par tout le corps,
entraînant à son tour une musique que non seulement les doigts dessinent mais tout l’être entier chante ;
Une musique où l’on entend les lointains échos des tambours accompagnant le récit du griot, où l’on perçoit, plus proche, la prolongation des mots et ce dont ils sont faits : voyelles et consonnes qui se reflètent dans le miroir troublé des sons ;
Une musique qui serait comme la poussière soulevée par le passage d’une horde magnifique de chevaux sauvages, comme les myriades de gouttes d’eau après le plongeon d’un grand cétacé dans la mer, comme un tourbillon d’étincelles autour du feu ardent, comme une poudre d’étoiles sous le talon de la voie lactée…

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Description

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The title was chosen as a reference, in homage to the African storyteller’s talking drum.

Starting with the wise words of Aimé Césaire, as one leaves a port for an adventure on the high seas around the globe, always carrying with them this succulent stick that one chews, this treasure, this inexhaustible source, this elixir of life amidst the crossing of the vastest deserts;

A music whose only raison d’être is to humbly weave the jewel case of its poetry, a « physical » poetry into which one has the sensation of biting deeply, or better yet, which makes us breathe deeply the world and the force of its nature, our hair whipping in the wind;

A poem spoken not only with the tongue but with the whole body,
in turn leading to a music that not only the fingers draw, but the whole being sings;

A music where we hear the distant echoes of the drums accompanying the griot’s story, where we perceive, closer, the prolongation of the words and what they are made of: vowels and consonants reflected in the troubled mirror of sounds;

A music that would be like the dust raised by the passage of a magnificent herd of wild horses, like the myriad drops of water after a great cetacean plunges into the sea, like a whirlwind of sparks around a blazing fire, like stardust beneath the heel of the Milky Way…

Jean-Christophe Rosaz

Dorsale bossale
Il y a des volcans qui se meurent
Il y a des volcans qui demeurent
Il y a des volcans qui ne sont là que pour le vent
Il y a des volcans fous
Il y a des volcans ivres à la dérive
Il y a des volcans qui vivent en meute et patrouillent
Il y a des volcans dont la gueule émerge de temps en temps
véritables chiens de la mer
il y a des volcans qui se voilent la face
toujours dans les nuages
il y a des volcans vautrés comme des rhinocéros fatigués
dont on peut palper la poche galactique
il y a des volcans pieux qui élèvent des monuments
à la gloire des peuples disparus
il y a des volcans vigilants
des volcans qui aboient
montant la garde au seuil du Kraal des peuples endormis
il y a des volcans fantasques qui apparaissent
et disparaissent
(ce sont jeux lémuriens)
il ne faut pas oublier ceux qui ne sont pas les moindres
les volcans qu’aucune dorsale n’a jamais repérés
et dont de nuit les rancunes se construisent
il y a des volcans dont l’embouchure est à la mesure
exacte de l’antique déchirure.

Rabordaille
« en ce temps-là le temps était l’ombrelle d’une femme très belle
au corps de maïs aux cheveux de déluge
en ce temps-là la terre était insermentée
en ce temps-là le coeur du soleil n’explosait pas
( on était très loin de la prétintaille quinteuse
qu’on lui connait depuis)
en ce temps-là, les rivières se parfumaient incandescentes
en ce temps-là l’amitié était un gage
pierre d’un soleil qu’on saisissait au bond
en ce temps-là la chimère n’était pas clandestine
ce n’était pas davantage une échelle de soie contre un mur
contre le Mur
alors vint un homme qui jetait comme cauris
ses couleurs
et faisait revivre vive la flamme des palimpsestes
alors vint un homme dont la défense lisse
était un masque goli
et le verbe un poignard acéré
alors  un homme vint qui se levait contre la nuit du temps
un homme stylet
un homme scalpel
un homme qui opérait des taies
c’était un homme qui s’était longtemps tenu
entre l’hyène et le vautour
au pied d’un baobab
un homme vint
un homme vent
un homme vantail
un homme portail
le temps n’était pas un gringo gringalet
je veux dire un homme rabordaille
un homme vint
un homme »

Mot-macumbaµ
le mot est père des saints
le mot est mère des saints
avec le mot « couresse » on peut traverser un fleuve peuplé de caïmans
il m’arrive de dessiner un mot sur le sol
avec un mot frais on peut traverser le désert d’une journée
il y a des mots bâton-de-nage pour écarter les squales
il y a des mots iguanes
il y a des mots subtils ce sont des mots phasmes
il y a des mots d’ombre avec des réveils en colère d’étincelles
il y a des mots Shango
il m’arrive de nager de ruse sur le dos d’un mot dauphin

Dictionnaire :

Bossale : noir non né dans la colonie, transporté d’Afrique, « peau sale », en opposition à créole
Cauris : coquillage servant de monnaie et à l’art divinatoire
Chien de mer : requin
couresse : serpent , sorte de grande couleuvre
Insermentée : réfractaire
Kraal : enclos, lieu où sont prises les décisions importantes
macumba : cérémonie magique au Brésil
Masque goli : divinité protectrice, porté par un danseur sacré
Prétintaille : ornement, artifice, et de là capric
Rabordaille : joueur de tambour d’aisselle ou talking drum dont la complexité sonore s’apparente à certaines langues tonales africaines
Shango : Dieu de la foudre et du tonnerre
Taie : tâche opaque ou blanche sur la cornée