Hans Heiling (Heinrich Marschner)

Scénographie, costumes Philippos Vazakas

Introduction
Hans Heiling appartient à l’univers des contes où nous retrouvons les esprits de la terre avec leur reine et leur prince, un livre magique, des trésors qui tentent la mère de l’héroïne, une jeune fille perdue dans la foret et qui découvre le véritable amour, un chasseur qui viendra la sauver, une mère qui fredonne une chanson mystérieuse, le héros qui regagne de haute lutte sa place dans le monde des esprits, une morale finale qui chante le retour à la sagesse et à la paix divine : les tableaux saisissants ne manquent pas…

La musique
C’est près de deux heures dix d’une musique accompagnée d’un livret offrant toutes les combinaisons possibles du parlé et du chanté, y compris bouche fermée (récit, récitatif, mélodrame, air, duo, trio et ensemble) en un foisonnement d’idées sensationnel. Il faut souligner la qualité de l’orchestration et de la composition qui se prête à une profonde analyse d’où il ressort une grande qualité d’inspiration et de métier.
On peut dire qu’un élément bref parcourt la partition se transformant sans cesse, à la fois présent dans l’ouverture ainsi que dans le mélodrame de Gertrude – la mère d’Anna – et celui d’Heiling : c’est la tierce mineure (le choix de cet intervalle mélodique peut définir un ambitus comme dans la chanson bouche fermée de Gertrude ou à plus forte raison la tonalité apparentée) qui illustre le thème du destin implacable collant à la peau du héros au point de devenir son thème propre (final de l’acte 2 : p 135 « Da ist er !», p 138 « Er ist ein Erdgeist ! » ; subtilité au passage l’intervalle est sur le verbe puis le mot). 
A noter également le thème du sentiment d’Heiling pour Anna, le thème de l’amour chez Anna, le thème de la dernière partie de l’ouverture qui préfigure le final de l’opéra.
Tous ces éléments s’imbriquent en une savante construction qui tisse un rythme haletant tenant continuellement le spectateur en haleine jusqu’au dénouement final.
La façon dont les chœurs des esprits de la terre et des « terriens » alors s’unissent en une apothéose finale pour glorifier le Dieu tout puissant qui fait accéder chaque créature à un état supérieur de paix est remarquable d’équilibre.

Le livret
Le livret est simple comme en apparence la plupart des contes mais l’évolution des deux personnages principaux (Heiling et Anna) suffit à nourrir l’intérêt de la narration. Il faut souligner le fait que pratiquement chaque nouvelle scène précipite l’action en avant conférant à tout l’opéra une grande efficacité dramatique et lui donnant un rythme soutenu grâce auquel le spectateur ne s’ennuiera pas une seconde. Tous les acteurs du drame passeront également d’un sentiment à l’autre.
Il faut bien resituer le contexte de l’époque concernant le rôle écrasant des parents (ici des mères – on peut à ce sujet se demander pourquoi les pères sont absents de cet opéra) qui fait comprendre la quasi omniprésence de la mère d’Anna entraînant pour le compositeur le recourt – qui peut nous paraître excessif – à la forme trio. Il est intéressant d’émettre l’hypothèse que le père d’Heiling n’ait pu resté dans le monde d’en bas, ce qui induit la notion de fatalité se perpétuant.
Au commencement, tout un peuple de gnomes et de lutins s’activent à dégager de la roche de fantastiques pierres précieuses, traduire par : c’est chez eux que se trouvent les véritables trésors : l’élévation spirituelle propre aux êtres supérieurs (qui paradoxalement se trouvent être sous nos pieds). Cette image est chère au monde des contes : c’est de l’ombre que jaillira la lumière : « travail et devoir » s’opposent à la seule vision que l’on a des humains puisqu’il s’agit au premier acte du jour de fête de la Saint Florian et au final de l’opéra du mariage de l’héroïne : on ne pense qu’à danser, boire, manger et s’amuser. Cette philosophie comme une autre peut paraître réductrice au regard d’Heiling et des esprits cependant que leur monde nous apparaît bien austère. L’esprit le plus évolué n’est pas forcément celui que l’on croit et l’élévation spirituelle du monde d’en bas peut être supérieure à celle de notre condition.
Nous proposons une adaptation du livret et en particulier des scènes parlées que nous avons élaboré en concentrant les dialogues tout en respectant les éléments clés du récit.

Les protagonistes
Hans Heiling est un être né d’un humain et d’une femme, une « créature »  pourrait-on dire, reine des esprits de la terre. A moitié homme et moitié esprit de la terre, déchiré par sa double nature – qui se manifeste par exemple par l’alternance d’une grand tendresse et d’une violence inouïe mais qui est aussi exacerbée par l’absence de père et le pouvoir de la mère il est sur le point de quitter à jamais le monde souterrain pour épouser Anna, une femme « d’en haut » car c’est pour la mère de cette dernière un très bon parti (les esprits de la terre ayant en effet le « don » d’extraire des pierres précieuses de leur gangue, il affiche un certain niveau de vie et de tenue morale).
Le prince des royaumes sous-terrains est profondément épris d’Anna, ce sentiment violent qui révèle à maintes occasions un caractère volcanique vient s’ajouter à la dimension romantique et en fait pour nous un être excessif mais attachant car sincère.

Anna passera de l’adolescence à l’age adulte avec ses douleurs et ses doutes : quand elle n’aimait pas elle ne souffrait pas et « maintenant que j’aime, je suis malheureuse ! … » comme elle le dit dans l’air n°8 qui ouvre le deuxième acte. Il y a là aussi une inversion par rapport à la « normale » (de notre époque !) qui exprime aussi tout l’enjeu de la période romantique : je souffre, c’est signe que mon amour est véritable. Force est de voir que nous avons pris de la distance et en même temps que cela est en partie vrai. Certaines personnes, à l’age de l’adolescence par exemple, vont se retrouver aujourd’hui encore plus ou moins pris dans cette vision de la relation amoureuse ou devront en tout cas passer à travers elle pour parvenir à l’age adulte.
Jeune et sans expérience, se laissant séduire par les richesses et la bonté d’Heiling, elle croit qu’elle est amoureuse mais à vrai dire elle ne sait pas encore ce que signifie ce mot. En même temps elle se demande pourquoi la pensée de Konrad, qui fait partie de la garde du comte local la trouble.

La Reine des esprits de la terre est un peu la traduction féminine d’un personnage comme Sarastro dans La Flûte Enchantée. Si elle apparaît en effet sous cet aspect au dernier acte, cependant sa jalousie explosera au départ de son seul fils lors du prologue, dévoilant ce sentiment en fin de compte commun aux dieux et aux hommes qui, là aussi, nous la rend plus « accessible ».

Gertrude : c’est le principe, l’argent, la situation, la rigidité, la tradition mais aussi le bon sens.

Stephan : forgeron du village et cousin de Konrad, c’est un peu le rôle de Papageno dans La Flûte : il exprime tour à tour peur, humour et plaisir du jeu.

Le chœur des esprits nés de la boue originelle travaille sans relâche mais c’est à l’édification d’un ouvrage aux valeurs éternelles.

Le chœur des paysans quant à lui exprime toute sa condition d’exploité en un jour de fête où l’on oublie tout : impôt et labeur. On se moque des esprits et en même temps on les craint. Le monde qui se trouve à la surface n’est-il pas comme sa situation l’indique un monde qui vit à la surface des choses en opposition au monde des profondeurs qui lui exprime justement la profondeur des choses et par-là se trouve être paradoxalement à une place supérieure sur le plan philosophique et spirituel. Il est intéressant de faire un rapprochement des deux peuples à propos de leur condition sociale identique même si celui ne semble pas s’en préoccuper.

Niklas : ce rôle parlé (joyeux drille ami de Stephan) est nécessaire car il vient alimenter le débat avec ce dernier sur la situation du trio Heiling-Anna-Konrad avant leurs entrées respectives.

Des musiciens sur scène, des demoiselles d’honneur, des chasseurs appartenant à la même garde que Konrad viennent compléter l’ensemble des acteurs de ce drame.

Le décor

Nous avons réfléchi à l’alternance de scènes à décor développé et de scènes à décor simplifié qui donnent une grande fluidité au déroulement de l’action utilisant tout le plateau avec des effets de proximité en avant-scène et d’éloignement en arrière-scène. Nous avons ainsi tenu compte de l’impératif des différentes salles concernées. De plus cet agencement tient compte des considérations non négligeables d’ordre budgétaire.

La lumière
Sous terre, nous ne recevons pas la lumière du jour et nous ne savons jamais quand nous sommes, c’est la nuit éternelle seulement éclairée par le rayonnement des métaux précieux, oeuvre du grand orfèvre attribué à ce monde en dédommagement de l’absence de la clarté du soleil.
A partir du premier acte, la lumière générale suit le déroulement des heures, c’est midi chez Heiling, la fête a lieu l‘après-midi, puis le soir descend dans la scène de la foret avant que la nuit soit complète pour la fuite du trio lors du final du deuxième acte. La rencontre d’Heiling et des esprits a lieu au petit matin. Le lever de soleil qui va suivre inondera le final du troisième acte. L’utilisation d’un cyclo en fond de scène est donc requise.
Ainsi la lumière concourt elle-même à la lisibilité et à la crédibilité du développement de l’action.

Les costumes
Ils traduisent chez chacun des personnages sa position par rapport au drame et par rapport à chacun des autres protagonistes, ses motivations et enfin les méandres de son âme.

Hans Heiling : d’allure noble avec un mélange d’austérité, un grand manteau balayant le sol (l’alchimiste studieux qui vit dans les livres).

Anna : tons de bleu, jeune héroïne, un châle pour la scène dans la foret, blancheur de la robe de mariée au final.

Konrad : tons de vert, garde du comte, chasseur, charme, caractère spontané, jeune.

La Reine des esprits : longue traîne rouge moirée rutilante avec un large diadème derrière et au-dessus de la tête. Longs cheveux tentaculaires aux mèches épaisses.

Le chœur des esprits : comme tassés sous le plafond de la grotte et à la fois faisant un avec la glaise, aux costumes lourds collant au sol, pantalons et jupes larges, dans des tons dégradés de brun et de terre, sur lesquels à la fois se reflètent diverses couleurs, mémoire des pierres précieuses tirées de la roche. Cheveux lisses de teinte pale traduisant l’absence de lumière.

Le chœur des paysans, les musiciens de scènes, les gardes : recréation de costumes inspirés de l’Allemagne du Nord et des pays scandinaves de la deuxième moitié du XVI siècle. Les femmes se changeront en partie, voire certains hommes, pour le jour du mariage.

Les accessoires
Le livre et le collier dans son écrin(avec leur équipement électrique interne respectif), le sceptre. Lances, épées, fanions.

PROLOGUE

L’opéra s’ouvre sur une scène qui se déroule dans les profondeurs de la terre. De l’obscurité (la profondeur impénétrable de la terre) naît la musique et petit à petit la lumière se répand à partir du centre du tableau peint (en fond de scène) représentant un boyau qui figure le lieu de passage, on distingue la reine des esprits de la terre au-dessus d’une foule de gnomes qui s’affairent mécaniquement par groupe d’activité avec des gestes énigmatiques et répétitifs. L’ensemble est comme chorégraphié. Les lumières de la rampe et de coulisses reprennent les dos courbés, les visages penchés. La Reine se tient sur un promontoire illustrant son trône et son pouvoir, son unicité telle la reine des abeilles en sa ruche. Le prince de ce monde, Hans Heiling, apparaît alors à un niveau intermédiaire entre sa mère et son peuple, il leur demande d’arrêter leur activité incessante pour leur annoncer qu’il les quitte, réaction de la mère et des esprits. Il s’en va laissant son manteau de « glaise » et n’emportant qu’un livre volumineux. Derrière lui, l’obscurité se fait progressivement sur les cercles concentriques jusqu’à ne plus laisser que le dernier cercle au centre illuminé, représentant le passage à la lumière du monde de la surface. Après que la mère a exprimé tout son désarroi de se retrouver seule de sa condition dans son univers, elle laisse éclater toute sa rage et jure de ramener son fils pour toujours. Enfin elle exhorte le chœur à reprendre son activité éternelle. NOIR. RIDEAU.

OUVERTURE

La lumière se fait d’abord sur le cor solo suivi du second cor puis se propage aux clarinettes, ensuite aux cordes pour s’étendre enfin à tout l’orchestre. Les premières mesures font entendre le thème du destin de Heiling que l’on retrouvera au début du dernier acte pour son ultime mélodrame. Quelle musique illustrerait mieux le poids de son destin (il est passionnant de se plonger dans l’analyse musicale de ces quelques mesures) : tout concourt à donner la très forte sensation de l’impossibilité de s’extraire de sa condition.

ACTE 1
Introduction

Elle s’ouvre sur un plan légèrement incliné (tache de lumière) en avant scène à jardin qui représente la chambre de Heiling dans ce monde-ci, comme un radeau dérivant à la surface de la terre. On entend les dernières supplications de la Reine et des esprits qui se trouvent derrière l’orchestre en fosse comme si leurs voix (évoquant le souvenir) sortaient du livre – seul mobilier représentant le passage entre les deux mondes – qu’Heiling referme à jamais. Il accueille Anna et sa mère Gertrude qui surgissent de l’obscurité derrière l’espace ainsi délimité. A noter qu’on veillera particulièrement aux entrées et sorties des différents protagonistes (y compris les chœurs) pour donner l’illusion que tout vient du néant et y retourne comme s’ils n’étaient que les personnages d’un rêve. Heiling dit tout son bonheur d’aimer et d’être aimer: « ton cœur a langui après moi, Anna : Oui ! Mais où étiez-vous donc hier ? Heiling : Je n’ai fait que penser à vous et désormais ne veux plus me séparer de vousAnna : C’est bien ainsi, laisser les secrets et suspendez vos sombres pensées, apprenez à être heureux. » La tendresse d’une telle scène fait fondre le cœur de Gertrude.

Récit (parlé)
Celle-ci demande à visiter le reste de la demeure. Heiling sort la préparer. Anna confie à sa mère son inquiétude mais celle-ci rétorque qu’elle ne trouvera pas meilleur parti au village. Restée seule Anna avoue déjà : « pourquoi toujours penser à lui ? ». Et l’on comprend qu’il s’agit d’un autre.

Trio
Attisée par la curiosité (un élément déterminant dans le déroulement des contes), elle ouvre le livre. Une lumière vacillante que l’on perçoit sur son visage en sort illustrant les pages qui tournent toutes seules. Elle est terrifiée. A son cri Heiling accourt : « qu’as-tu fait malheureuse ? » A sa demande il détruit le livre (qu’il jette au pied d’un mur de flammes s’élevant derrière eux : elles sont projetées sur une toile cachée derrière le plan incliné montant jusqu’aux cintres le moment venu). Le bruit du tonnerre et de la pluie s’ajoute au feu apportant un contraste fort. Heiling n’a plus de pouvoir. Et c’est cela qui est formidable (elle ne le mesurera sans doute jamais) : il est prêt à renoncer à sa condition pour elle. Anna et Gertrude se confondent en remerciements.

Récit
Anna : « qu’avez-vous là ? Heiling : ah, j’allais oublier : un collier de perles pour vous. » Il ouvre la boite et le chatoiement du bijou nous éblouit (humble souvenir du royaume des esprits et importante préfiguration de la lumière enivrante qu’Heiling fait surgir au final de l’acte 2). Ces passages parlés sont très bien écrits, nous en avons poussé l’efficacité en les resserrant encore. Pour exemple : c’est Anna qui remarque la boite mystérieuse sortant de la poche d’Heiling – lui tout à sa déclaration n’y pense plus – et c’est la mère qui la première s’émerveille de l’éclat et de la valeur du collier. Nous avons ainsi en trois répliques un condensé de l’attitude des personnages les uns par rapport aux autres.

Aria
Heiling redit son amour d’une manière encore plus emphatique mais qui exige la fidélité d’Anna et demande un amour excessif et impossible aux regards des humains (mais pas des romantiques !) : « en toi seulement je vis ». De ce paroxysme la violence de la jalousie n’est pas loin qui s’exprime déjà dans la partie centrale de l’air avant de revenir à la mélodie plus paisible du début
( à noter que les mots y sont beaucoup plus exacerbés cette fois : « cœur saignant, souffrance sans fin, soupçon et crainte, désir fou »). Nous avons dans cet air et d’une manière plus large dans la façon de s’exprimer d’Heiling tout au long de l’ouvrage un véritable dictionnaire du vocabulaire romantique. Anna le rassure : « ne serai-je pas votre épouse dans trois jours ? » A remarquer l’utilisation judicieuse du parlé sur la coda de l’air.

Récit
C’est encore Gertrude ( comme si c’était véritablement elle qui tire les ficelles)qui propose de se joindre à la fête en l’honneur de Saint Florian le patron du bourg. Après qu’Anna a promis à Heiling de ne pas danser, ils se mettent en route. NOIR.

(Trio : nous avons supprimé ce trio qui semble redire les choses sans être indispensable musicalement et préférons arriver de plein pied sur la place du village.)

Chœur des paysans

La musique s’enchaîne tout de suite. Derrière le rideau, le peuple entre sur l’introduction à la fin de laquelle le rideau s’ouvre sur un pan de toit incliné (le point de chute à l’horizon côté coulisse représente la porte par où la foule ira danser) qui symbolise la taverne à fond-jardin ainsi qu’une église stylisée à fond-cour. Le cyclo permet une variation d’atmosphères lumineuses suivant les diverses scènes à venir où il sera présent (taverne et église peuvent apparaître en contre-jour sur un ciel lumineux où eux mêmes éclairés sur un ciel aux couleurs sombres). Les deux pans de l’église sont décalés (celui à cour plus en avant-scène que celui à jardin) afin d’y ajouter un intéressant jeu d’optique asymétrique. Cela permet d’y voir une « fracture » et en même temps un faisceau de lumière qui descend sur terre et toute la création par où passe la grâce. Le chœur est entendu en entier contrairement à la version dirigée par J.Keilberth (Cologne, 1966) pour conserver les tons relatifs.

Récit
Stephan et Niklas critiquent le fait qu’Heiling leur vole une jolie fille. De plus on le soupçonne d’être un alchimiste. Konrad fait son apparition, il souhaite tout le bonheur possible à Anna. Echange de plaisanteries sur les esprits de la terre.

Lied avec chœur
Où Konrad se moque d’une femme car, repoussant ses prétendants, elle épouse un « petit comte » qu’elle découvre être un lutin, allusion bien-sur à l’histoire en court !

Récit
Stephan avoue être terrorisé par ces esprits de la terre et au moment où il les évoque, Heiling entre en scène – ce qui jette un froid sous l’apparente politesse – suivi d’Anna et Gertrude.

Final
Les paysans sortent à fond-jardin éclairés fortement à contre-jour pour aller danser (au début du final, c’est plutôt innovateur comme procédé !). La lumière est une citation de l’univers qu’Heiling ne peut rejoindre malgré tous ses efforts et sacrifices. Konrad demande la permission à Heiling d’entraîner sa fiancée au bal. Il refuse. Anna se révolte et ils s’engouffrent à la suite du chœur. Heiling reste seul « ah, elle ne m’a jamais aimé ! »

ACTE 2

Aria (Anna)
Une immense branche épineuse, qui traverse le plateau assez bas pour que les chanteurs aient à se baisser, représente la foret et ses dangers. Le chœur des esprits se tient tapi dans l’ombre, allongé sur le sol, telle une métamorphose du marais. Un brouillard rampant parcourt la scène. Anna qui se rendait chez sa cousine s’est perdue: c’est une allégorie de son état intérieur, elle ne comprend pas ce qu’il lui arrive ce qui l’incline tout naturellement à chanter son air où elle confie son désarroi, se souvenant du passé. C’est parce qu’elle s’est arrêtée (elle ne sait plus où aller) qu’elle chante : « jadis résidait en mon cœur une paix si profonde… ». Elle découvre en fait les tourments du véritable amour. A ses cris : « qui viendra me sauver », le chœur sort de sa torpeur. Les esprits se redressent progressivement Leurs silhouettes menaçantes forment plusieurs groupes dessinant des contours forts. C’est seulement dans l’imagination d’Anna et son incapacité à percevoir leur monde qu’ils sont terrifiants. Il ne faut pas déranger le monde des esprits sous peine d’être envahi par l’angoisse d’ un sort inconnu. Soudainement, au comble de l’agitation, la Reine apparaît dans la brume (déjà debout et comme par magie), aux côtés d’Anna lui apprenant la véritable identité d’Heiling sur laquelle notre héroïne, jusque-là, n’avait que des doutes. La Reine lui demande de renoncer à son fils car cette union est impossible. Tout ce qu’elle vient de subir étant au-dessus de ses forces, Anna s’évanouit. La Reine disparaît comme par enchantement et les esprits retournent au sol comme s’ils se rendormaient.

Scène (Anna, Konrad)
On entend au loin la musique des cors qui souligne l’humeur joyeuse de l’homme de la nature et des joies simples : Konrad. Il découvre Anna qui revient à elle dans ses bras encore sous l’effet de la révélation. Elle ne veut plus entendre ne serait-ce que le nom d’Heiling. Konrad reprend espoir. Il emporte Anna trop faible dans ses bras. RIDEAU.

Mélodrame de Gertrude

Devant le rideau ferme glisse des coulisses jardin un plan incliné relativement étroit illustrant un chemin dangereux au pied d’une falaise. En avant scène se tient Gertrude, tenant une lanterne à la main, sa propre ombre immense s’agite sur le rideau, cassée par le plan incliné. Des êtres fantasmagoriques liés à l’ombre de la lanterne se dessinent et semblent surgir derrière elle de sa propre imagination. Elle s’avance aux limites du plateau. La mère s’inquiète pour sa fille et, étant partie à sa recherche, son trouble intérieur lui fait évoquer une lugubre chanson populaire : « un feu follet bleu brûle sur la lande, un homme avare voulant retirer un trésor creuse la terre, un squelette se dresse pour étrangler sa victime…, et se met à parler : …tu n’entends pas l’appel de détresse du pauvre homme, car je t’étrangle maintenant à mort ! ». La voix parlée fait naître le chant bouche fermée qui à son tour éveille la voix chantée : remarquable évolution dramatique ! De plus elle entrecoupe son chant de ses commentaires parlés sur la disparition d’Anna et l’on ne sait plus où est la réalité, effet poignant là encore très réussi.

Récit (Gertrude, Anna, Konrad)
On ne voit plus que le regard de Gertrude. Prise à son propre chant (comme si elle avait peur de sa propre ombre) elle s’écrit à la fin de la scène : « qui va là ? ». Ce n’est que Konrad portant toujours Anna. On lui apprend la vérité. Ils décident de fuir ces contrées et empruntent le plan incliné comme pour se sortir de ces marais aux sables mouvants.

Final (les mêmes plus Heiling)  nous suivons les coupes de la version Keilberth qui nous semblent bien équilibrées.
Les fuyards sont soudainement arrêtés par… Heiling qui apparaît au sommet de l’étroit sentier escarpé comme à flanc de montagne donnant l’illusion d’une paroi abrupte. D’un geste, il les aveugle et les hypnotise par une lumière intense et vibrante venue de derrière lui en coulisse, suggérant la fortune (alors qu’au premier acte il ne s’agissait encore que d’un collier dans son écrin) qu’il met au pied d’Anna. Il essaie une ultime fois de l’envoûter mais celle-ci ne se laisse plus tenter, elle rompt l’enchantement d’un geste de la main souligné là aussi par un brusque changement de lumière,  au moment précis où elle révèle à Konrad qu’elle n’ignore plus la nature véritable d’Heiling. Celui-ci alors, abattu, réalise que « tout est perdu » mais aux railleries de Konrad « tu es libre, je me moque de la colère du nain » la flamme de la vengeance se ranime dans son regard. Le combat est inévitable. Pour ajouter à la situation de danger, le plan incliné s’entrouvre sous leurs pieds les séparant en deux groupes (présageant la fracture entre Anna et Heiling à la fin de l’opéra). Heiling porte un coup vif comme l’éclair à son adversaire qui tombe blessé (peut-être mortellement, on ne l’apprendra qu’au début de l’acte suivant) manquant être précipité dans le vide. La scène s’achève avec l’entremêlement des cris désespérés d’Anna (son dernier mot adressé à Konrad : « mon amour ! ») et du rire sarcastique et victorieux d’Heiling.

ACTE 3

Mélodrame – Scène et aria avec chœur : Heiling et le chœur des esprits
Le plateau est désert. Heiling, les épaules baissées, vient du fond de la scène au centre, traînant son manteau. « Me voici rendu au but » : un long monologue se superpose au thème initial de l’ouverture. Le premier mot chanté est : « mère ( si je t’avais écouté !) » qu’il semble murmurer à la terre même. Il a décidé de retourner auprès des siens. A ses mots : « qui ose nous invoquer ? » seuls les visages des esprits (cette fois dressés) sortent de l’ombre des côtés et du fond de scène respectant l’effet stéréo à venir de l’écriture musicale. Moqueurs, il lui apprennent que Konrad est vivant. Heiling avance toujours et le chœur se resserre derrière lui menaçant. « Tout est perdu, quel être stupide j’ai été! » le prince d’autrefois s’effondre. Hans Heiling l’indomptable est tombé au sol, il roule sur le côté se tenant les genoux envahit d’une insupportable souffrance intérieure. Les esprits allongent les mains sur son corps «  maintenant il est nôtre pour toujours » puis s’écartent, laissant passer un enfant qui lui remet le sceptre, symbole royal. Tous lui promettant de se joindre à sa vengeance, ils le hissent sur leurs épaules comme un triomphateur symbolisant par là leur soumission. C’est encore une scène très réussie qui voit un revirement d’une grande force dramatique. RIDEAU.

Marche nuptiale : Anna, Konrad, Gertrude et la plus grande part du chœur des paysans 
En avant-scène devant le rideau, les musiciens sur scène (que l’on entend tout d’abord en coulisse) entraînent le cortège nuptial de cour à jardin. Le jeune héros a le bras immobilisé. On entend en voix off ces réflexions de Konrad comme si on lisait dans ses pensées: «  en vérité, je n’aurais jamais osé rêver que le jour même où je pensais avoir perdu Anna pour toujours, j’ai pu la conduire chez moi malgré mon ennemi mortel ». Les musiciens finissent de jouer la marche à coulisse-jardin.

Lied avec chœur de Stephan 
Côté cour, Stephan et le reste du chœur entrent prestement avec l’envie de s’amuser et entonnent une chanson humoristique (par le sens et l’utilisation d’onomatopées). La fin du cortège (avec notamment les futurs époux et Gertrude) se retourne pour écouter. Cette fois le sujet est un chasseur (allusion à Konrad) demandant conseil sur le mariage à un ours puis un blaireau .

Récit (Gertrude, Anna, Konrad, Stephan, voix du chœur)
Gertrude dit à Stephan de ne pas faire attendre le curé. Anna confie son inquiétude à Konrad. Le cortège finit de passer aux coulisses-jardin suivi par la bande de joyeux lurons qui les a rattrapés. Le rideau se lève sur le décor final où l’on retrouve taverne et chapelle. Tous les villageois passent devant la taverne et entrent dans l’église, s’engouffrant dans le noir comme s’ils partaient en fumée. Les cloches sonnent.

Récit (Heiling)
Heiling fait son entrée sur la place du village en montant d’une échelle située derrière l’orchestre au centre de la fosse, éclairé par une poursuite. Il s’arrête dans son ascension, se retourne pour exprimer la détermination de sa vengeance : « gare à toi, la nuit de noces te recouvrira bientôt de ses ombres profondes». A ces mots commence la scène suivante.
 
Chœur dans la chapelle : chœur, Anna, Konrad plus voix parlée d’Heiling
Dans la chapelle, on entend le chœur implorant la bénédiction du couple auquel se joigneront, sur la dernière phrase, les voix des jeunes époux . Heiling se hisse en haut de l’échelle. Le voici seul sur la place du bourg. Alors que l’on perçoit la musique venant de l’église, les auteurs ont eu la géniale intuition de faire entendre en surimpression l’ultime monologue du héros abandonné qui ne veut pas se laisser infléchir par les voix suppliantes. Heiling s’asseyant au bord de la scène à jardin, se dissimule, recroquevillé sous son manteau comme un mendiant.

(Duo : même remarque que pour le trio de l’acte 1, nous avons donc choisi de l’écarter).

Récit
Sortant de la chapelle, Stephan annonce au couple qu’il n’y a pas de mariage sans jeu de colin-maillard (autre élément appartenant à l’univers des contes). C’est lui qui mène le jeu : « prenez le fiancé, je reviens dans un instant avec l’épousée ». Deux femmes conduisent Anna à la coulisse-jardin.

Final

C’est étonnant combien ce final peut s’analyser comme un condensé de nombreux procédés d’écriture musicale et dramatique de La Flûte Enchantée (formes musicales, tonalités, formules mélodiques et rythmiques, écriture en canon, effets de rupture…).
Quelques unes des demoiselles d’honneur présentes bandent les yeux de Konrad : « tu dois trouver ta petite femme ! ». Stephan réapparaissant : « cachez-le, me voici avec la fiancée ». Parmi elles, deux autres le guident en coulisse-cour. Anna (les yeux « faussement  bandés ») se dirige vers l’avant du plateau.
Heiling se relève sur le cri des femmes qui l’ont reconnu. Elles restent, ainsi que Stephan, bouche-bée, paralysées par la surprise avant de fuir de tous côtés. Anna leur demande d’arrêter cette mauvaise plaisanterie. Elle continue à s’approcher du bord du gouffre.
Lorsqu’elle tend la main au-dessus de la fosse, Heiling la saisit et on ne sait pas si c’est pour la précipiter dans le vide ou la sauver. Enlevant son bandeau, elle est emplie d’effroi. Voici le ton du règlement de comptes final – remarquer le fait qu’Heiling tutoie Anna alors que celle-ci le vouvoie, ce qui exprime bien leur rapport sans doute d’âge et de condition sociale : « – Tu ne reconnais pas ton fiancé ? – Que veux-tu ? – Je viens ici pour me venger ! – Malheur à moi ! – Anna, pourquoi m’as-tu fait cela ? – O, ne me culpabilisez pas de votre malheur (se ressaisissant elle reprend le vouvoiement) – Pourquoi as-tu brisé ta fidélité ? – Pourquoi vous êtes-vous prétendu humain, m’avoir tentée par la vanité ? (on peut aussi traduire par coquetterie». Anna implore Heiling de se venger seulement sur elle et d’épargner son mari. « Comment oses-tu l’appeler ? Je veux arracher ce nom de ton cœur ! » Il y a une telle densité à cet instant qu’il faudrait citer le texte dans son intégralité ! Au plus fort de la lutte, Anna, comme en extase, sentant sans doute sa fin proche, énonce l’incipit du choral « entre tes mains Seigneur, je me confie », un des plus connus de la tradition protestante.
C’est à ces mots que le salut vient non pas du ciel mais de Konrad prévenu par Stephan suivis de Gertrude, chasseurs, paysans et demoiselles d’honneur. Cette fois ce sont ces derniers qui appellent à la vengeance comme si au sommet du combat, les combattants se ressemblaient. Le poignard avec lequel Konrad va frapper Heiling se brise comme du verre. Tous s’écrient : « il est invulnérable ».
Nouvelle progression dramatique : le maître invoque ses fidèles esprits qui, s’étant glissés avec une extrême discrétion parmi la foule, surgissent comme par enchantement. L’opéra est véritablement à son paroxysme lors de ce passage à forte connotation religieuse ; représentant toute l’humanité devant le jugement dernier. La foule se lamente : « dans la nuit de la perdition, nous sommes tombés ! ». Alors qu’ils ne sont encore que menacés, tous s’estiment perdus à jamais.
Les deux chœurs s’opposent soulevant une tension formidable qui va exploser d’une seconde à l’autre quand, coup de théâtre : la lumière d’une « tromba sul teatro » en do majeur accompagnée de pulsations pianissimo aux cordes introduit l’entrée en scène de la Reine des esprits. Arrêt sur image sauf pour elle (sur un praticable) et sa garde personnelle qui apparaissent en arrière-scène en même temps que se dévoile le cercle présent au prologue (qui, pour rappel, illustre le couloir nommé par Heiling reliant les deux mondes). La mère a maintenant des paroles qui peuvent surprendre après ce qu’elle avait laissé présager lors de ses précédentes apparitions : « Arrête, mon fils, la vengeance ne doit pas être seul juge, laisse-moi réconcilier la dispute dans l’amour ». Capable de colère telle certaine déesse de l’antiquité, elle sait aussi discerner l’équilibre où réside la paix.
Il faut voir dans le retour à la mère, une symbolisation du retour à la sagesse (puisqu’elle même a laissé toute jalousie) pour ne pas en faire quelque chose de trop lourd sur le plan psychologique (on pense bien sur à la dimension freudienne). Ses traits de caractère ne nous la rende que plus proche et nous incline à recevoir la morale finale :
L’aventure de Hans Heiling (qui se souvient, l’espace de quelques mesures, comment tout a commencé – magnifique procédé de flash-back avant l’heure) était vouée à l’échec, les deux mondes ne peuvent s’unir, il n’y a qu’une chose à faire devant ce fait indéniable : accepter et tout rentrera dans l’ordre cosmique. Il aura eu pour lui le courage d’avoir essayé et c’est ce qui en fait pour l’éternité un modèle de héros.
Les deux chœurs – allégories des deux natures – s’unissent pour s’élever au-dessus de cette tentative et semblent non pas désigner un paradoxe mais bien plutôt le fait qu’il est un niveau des choses où tout se rejoint : une certaine élévation spirituelle où réside « la puissance de Dieu… qui… a décidé pour tous justice et paix ». Ce sont les derniers mots de la partition qui en embrasent les ultimes moments.